UNE PIROGUE QUI A FAIT COULER BEAUCOUP D'(AN)CRE

La pirogue quitte le Parc

Le 27 avril à 7h30 du matin, Marc, 34 ans, parcourt ses 3 kilomètres de footing dominical au Parc de la Tête d’Or. Les premiers rayons du soleil sont agréables, l’air est frais, une légère brume caresse les eaux calmes de l’étang. Rien ne semble pouvoir perturber le jogger sur le point d’achever ses quelques 3263 foulées hebdomadaires qui, assure-t-il régulièrement à ses amis, lui donne la garantie d’une santé de fer !

Et pourtantquelle nest pas sa surprise lorsquau moment de rejoindre la grande porte du Boulevard des Belges, sa course est stoppée net par une énorme semi-remorque qui entrave outrageusement lallée centrale du sacro-saint poumon vert urbain !

Que se passe-t-il ?

Tout en reprenant son souffle, Marc trouve réponse auprès du petit attroupement qui entoure le véhicule : « C’est la pirogue, on vient de la charger, elle repart à Brégnier-Cordon ! »

La pirogue ? Mais quelle pirogue ? sinterroge Marc intérieurement. Voilà bientôt douze ans quil habite la capitale des Gaules et à raison dun footing par semaine, il peut se vanter davoir franchi plus de six cent fois les portes du Parc. En ce lieu, ses rencontres ont été nombreuses et souvent exotiques : lions, éléphants, girafes, plantes carnivores, singes en tout genres, mais dune pirogue jamais il na croisé la route !

En suivant les traces laissées dans lherbe fraîche par les roues du camion, Marc retourne sur ses pas, à la rencontre du lieu devait se trouver lobjet de toute cette agitation. Effectivement, il doit admettre que quelque chose a changé dans le paysage. Oui, les souvenirs refont surface ! Il y avait un petit abri, au bord de létang, sous lequel il lui est même arrivé plusieurs fois de sarrêter quelques instants, dans lattente dune météo plus clémente. Mais alors, cette longue pièce de bois quon pouvait voir là, posée sur deux rochers, était une pirogue ? Marc avait bien remarqué le manège des colverts, cygnes et autres volatiles aquatiques qui trouvaient luxueuses commodités, mais jamais il naurait soupçonné lexistence dun artefact antique en pareil endroit !

Satisfait davoir fait travailler son cardio, mais honteux de ne pas avoir su reconnaître pareille richesse historique en un lieu si familier, Marc reprend le chemin de son domicile lattendent femme et enfants, sans se douter que deux mois plus tard, par le plus grand des hasards, il croiserait de nouveau cet étrange bateau.

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Petite introduction narrative pour présenter le voyage de cette pirogue dont certains ont peut-être déjà entendu parler…

L’histoire commence en 1862, avec une équipe d’ouvriers du service de la navigation du Rhône. Constatant que le fleuve se déplace en rive droite, les ingénieurs du Service s’inquiètent pour la stabilité du pont de Cordon (01), mais aussi pour la navigation, car l’érosion de la berge laisse apparaître des troncs qui entravent la circulation des bateaux. En procédant à leur enlèvement, les ouvriers découvrent une embarcation, longue et étroite, creusée dans le tronc d’un chêne : une pirogue monoxyle.

A linstar de nombreux objets archéologiques découverts à lépoque, la pirogue est transportée jusquà Lyon elle intègre les collections du musée des Beaux Arts puis est exposée au Parc de la Tête dOr qui vient dêtre inauguré quatre ans plus tôt.

A la fin du XIXe siècle, les connaissances en archéologie et en architecture nautique fluviale sont très peu développées et la forme apparemment primaire de cette embarcation amène très rapidement les érudits lyonnais à se prononcer de façon unanime sur l’origine préhistorique du bateau. Le compte rendu de la séance du 29 avril 1862 d’une société savante lyonnaise évoque une « pirogue taillée dans un seul tronc de chêne, à la manière des sauvages, et offrant, dans sa forme, toute la grossièreté des œuvres dun peuple tout à fait primitif ».

Aujourd’hui, grâce à une série de datations par la méthode du carbone 14, on sait que l’arbre qui a servi pour creuser le bateau a été abattu entre le Ve et le VIIe siècle.

Loin d’être une pirogue du Néolithique, il s’agit d’une embarcation qui a navigué pendant la période de transition entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Age. Et cela n’a rien d’étonnant car l’homme a continué à fabriquer des embarcations monoxyles longtemps après l’invention de l’architecture nautique assemblée. Autrement dit, bien des troncs d’arbres ont été creusés alors que les techniques pour assembler des planches et les rendre étanches étaient maîtrisées depuis des siècles. Parmi les 400 pirogues découvertes en France, 55 ont été datées par des méthodes scientifiques du carbone 14 ou de la dendrochronologie. Or on dénombre 3 pirogues du mésolithique, 5 du néolithique, 2 du chalcolithique, 3 de lâge du bronze, 6 de lâge du fer, 5 de la période gallo-romaine, 30 du Moyen Âge et une de la période moderne.

N’en déplaise aux savants du XIXe siècle, monoxyle n’est pas nécessairement synonyme de primitif.

Aujourd’hui, la pirogue a quitté la capitale des gaules pour rejoindre ces terres d’origine à Brégnier-Cordon, suite à de longues négociations entre la Ville de Lyon et la Communauté de communes Terre d’Eaux. Le musée Escale Haut-Rhône (dépositaire) est fier de pouvoir présenter cet objet archéologique de première importance : seule pirogue monoxyle découverte sur tout le Rhône et seul bateau pour toute la période allant du Ve au XVIIIe siècle.

arrivée de la pirogue à Brégnier-Cordon

www.escalehautrhone.fr

Pour accompagner le retour de cet élément majeur du patrimoine fluvial, le musée Escale Haut-Rhône présente une exposition temporaire du 25 juin 2011 au 25 novembre 2012 : « Escale Haut-Rhône Bureau des objets trouvés ».


On y explore le thème de la trouvaille sur les berges et dans le lit du fleuve du haut Rhône (Genève-Lyon).

La trouvaille peut être à portée de main, lorsqu’elle est récoltée sur les berges au hasard des promenades mais aussi à portée de machine, lorsque les chantiers découvrent des objets à l’occasion de travaux d’aménagement du fleuve (construction de barrages, de digues) ou d’exploitation de ses matériaux (gravières). Elle peut avoir une valeur archéologique, historique ou patrimoniale lorsque l’objet est fabriqué par l’homme. Mais, lorsqu’elle est tirée du paysage naturel (étranges racines de bois flotté, beaux galets), elle s’adresse directement à l’imaginaire ou au talent artistique du «glaneur». La trouvaille n’est pas obligatoirement une surprise magnifique : elle peut être encombrante (épaves de voitures, de machines à laver) ou effroyable (cadavres humains ou animaux). Plus largement, lorsqu’elle est indésirable (déchets flottants et pollution chimique de l’eau), elle interroge l’actualité et l’avenir de nos pratiques du fleuve (tourisme, activités de loisirs). Qu’elle soit heureuse ou inquiétante, fortuite ou préméditée (détecteurs de métaux), la trouvaille n’en est pas moins toujours liée à l’imaginaire du trouveur qui, ainsi, lui offre un nouveau destin.

une vue de l'expo.

Dans le cadre de cette exposition temporaire, nous avons aussi réalisé un film documentaire qui retrace l’histoire du retour de la pirogue à Brégnier-Cordon. Celui-ci est, pour l’instant, diffusé en exclusivité au musée.

Dossier de presse complet de l’exposition : http://www.escalehautrhone.fr/files/dossier%20de%20presse%20BOT.pdf

En espérant que ces quelques lignes vous auront donné envie de venir nous rendre visite à Brégnier-Cordon, il ne me reste plus qu’à vous dire que ce fabuleux musée n’est qu’à une heure de Couzon, que son environnement vaut le détour (Réserve Naturelle Régionale des îles du haut Rhône à visiter absolument… en canoë ou pirogue, c’est encore mieux) et que toute personne membre du club qui se présentera à l’accueil aura le droit à une entrée gratuite !

Des trouvailles à portée de main